Chronologie des éruptions de la montagne Pelée

Dominique Taffin, conservatrice générale du patrimoine, directrice des archives départementales de la Martinique (2000-2019)

Vers 295-300 après Jésus-Christ : éruption de la montagne Pelée (documentée par les fouilles archéologiques).

Vers 1300 après Jésus-Christ : violente éruption de la montagne Pelée (documentée par les fouilles archéologiques).

1851 : petite éruption de la montagne Pelée.

1902 :

Février 1902 : dégagements sulfhydriques du sommet de la montagne sensibles au Prêcheur.

Avril 1902 : début des chutes de cendres. Les animaux s’affolent.

22 avril : première rupture du câble télégraphique entre Fort-de-France et la Guadeloupe.

24 avril : colonne de vapeur chargée de cendres s’élève au-dessus du volcan, les pluies de cendres augmentent d’intensité.

26 avril : des excursionnistes constatent les modifications au sommet de la montagne : l’Étang sec s’est rempli et un petit cône de lave commence à s’édifier.

début mai : les rivières descendant de la Pelée se chargent de boue et entrent en crue.

5 mai : une brusque crue de la Rivière Blanche détruit l’usine Guérin et la distillerie Isnard. Premières victimes de l’éruption.

7 mai : éruption de la Soufrière de Saint-Vincent.

Nuit du 7 au 8 mai : une avalanche de boue dans le lit de la rivière du Prêcheur cause la mort de près de 400 personnes.

8 mai : à 8h02, une nuée ardente envahit Saint-Pierre et ses environs, tuant environ 26 000 personnes.

20 mai : une nouvelle éruption achève de détruire les maisons restées debout après le 8 mai.

Juin : arrivée de la mission scientifique menée par Alfred Lacroix.

30 août : nouvelle nuée ardente, dirigée cette fois vers le Morne-Rouge. 1 200 victimes.

1902-1903 : activité volcanique importante, accompagnée de nuées ardentes (décembre 1902) et surtout de l’édification, sur le dôme, d’une aiguille qui finit par s’écrouler en décembre 1903.

1902 : un petit observatoire est installé au Morne-des-Cadets. Il sera édifié en véritable bâtiment en 1935.

8 août 1903 : un cyclone ravage la Martinique.

1908 : légère reprise d’activité du volcan.

1929 : de septembre à décembre, montée de l’activité du volcan. La population des communes du Nord est évacuée jusqu’en avril 1930.

6 décembre 1929 : une nuée ardente détruit la zone située entre Saint-Pierre et le Prêcheur.

Histoire de l’éruption de 1902

L’éruption

« Pour Paris, de Fort-de-France, dépôt le 8-5-02 à 9h55 du soir

Suchet à Marine Paris

Reviens de Saint-Pierre, ville complètement détruite par masse de feu vers 8h du matin. Suppose toute population anéantie. Ai ramené les quelques survivants, une trentaine. Tous navires sur rade incendiés et perdus. Éruption volcan continue. Je pars pour Guadeloupe chercher vivres »

C’est ainsi que la France, et le monde apprennent dès le 9 mai » la catastrophe de la Martinique », qui marque réellement pour l’île la fin du XIXe siècle.

Le 8 mai 1902, vers 8 heures du matin, la montagne Pelée, qui depuis le mois de février avait repris une activité inquiétante depuis 50 ans de sommeil, émettait une » nuée ardente » chargée de cendres brûlantes qui en dévalant les pentes du volcan produisait une énorme onde de choc. La nuée, enveloppant Saint-Pierre et ses environs sur la côte caraïbe, souffla littéralement les maisons, embrasa les nombreuses distilleries de la ville et asphyxia et brûla tous les êtres vivants des quartiers du Nord jusqu’aux confins du Carbet et du Morne-Rouge. Saint-Pierre, cité florissante et peuplée de 26 000 habitants (chiffre officiel) est anéantie avec son port, ses maisons de commerce, ses demeures et ses promenades.

L’année 1902 est encore marquée par d’autres éruptions d’une grande violence : celle du 20 mai finit de raser la ville de Saint-Pierre ; mais surtout, le 30 août, la nuée s’abat sur le Morne-Rouge et alourdit le bilan des pertes de 1 200 victimes.

La rupture

Rarement pays a connu rupture aussi brutale. On comprend alors que la tentation millénariste ait pu s’exprimer alors, et ait imprégné les esprits, plus durablement qu’on pourrait le souhaiter.

Pourtant, en 1902, le changement était à l’œuvre, et la Catastrophe, tout en en perturbant le cours, l’a accéléré, avec certes bien des cahots, et au prix d’une très lourde perte humaine.

Quel a été l’impact de la destruction de Saint-Pierre sur l’histoire de la Martinique ?

Que pouvait créer de fécond une telle tragédie ? Telles sont les questions qu’il est bon de se poser, cent ans plus tard.

En 1902, la médiatisation des catastrophes naturelles prend un tour « moderne ».

L’expansion des moyens de communication (télégraphe par câble, organes de presse puissants), mais aussi les rapports de force internationaux qui font des Antilles une zone sensible, où les puissances coloniales et impérialistes de l’époque cherchent à renforcer leur position créent les conditions d’un retentissement mondial de l’événement.

La perte humaine est lourde : sur le plan démographique, son évaluation resta extrêmement vague pourtant, oscillant entre 25 000 et 30 000 victimes.

Sur le plan social, des figures de proue de l’élite politique et intellectuelle disparaissent, mais on constatera que la vie politique reprend avec autant de vigueur qu’avant 1902 : peut-on faire l’hypothèse qu’en laminant les classes bourgeoises masculines intermédiaires : commerçants mulâtres et békés, 1902 renforça le pouvoir des usiniers d’une part, et la contestation du parti « mulâtre » sur un fond de précarisation accrue des cultivateurs ?

1902 permet en effet l’émergence de deux personnalités majeures du premier tiers du siècle : Fernand Clerc et Victor Sévère.

Une hypothèse que l’exploitation historique de la base de données Victimes de 1902 devrait permettre d’affiner est que, dans les élites, c’est plus une génération que des lignées, qui est perdue, alors que les classes populaires sont frappées par familles entières.

Pour le développement de la Martinique, des questions telles que celle de l’équilibre économique entre le Nord et le sud de l’île sont brutalement tranchées par l’éruption de 1902. Encore ne faut-il pas oublier le coup de semonce donné par la nouvelle éruption de 1929 : à cette occasion, les autorités, tout en tirant les leçons de 1902 et montrant une attitude déterminée en faveur de la prévention des risques majeurs, confirment le renoncement à rebâtir Saint-Pierre. Les seuls projets d’équipement de quelque envergure pour le Nord ne débutent que dans les années 1930.

Les conséquences économiques ne se font pas tant sentir sur le plan de la production cannière, rapidement revenue à la normale et stimulée, pour le rhum et le sucre, par la guerre mondiale à peine douze ans plus tard, ni sur le commerce colonial, déjà pris en main par des maisons-mères métropolitaines qui reconstituent leurs succursales à Fort-de-France, que sur celui, d’évaluation ô combien plus délicate, des circuits de l’économie informelle, disparus en même temps qu’une grande part des cultures secondaires.

Plus difficile encore à restituer est l’atmosphère de Saint-Pierre, ville où convergeaient les intérêts les plus divers, ville de l’opulence et de l’industrie, est sans doute, avec ses milliers de femmes et d’hommes ensevelis sous la cendre.

Pourtant, la disparition de Saint-Pierre, « cité créole » évoquée avec nostalgie, a permis de cristalliser un folklore, menacé par le changement progressif, et qui n’aurait sans doute pas été recueilli sans le sentiment d’urgence et de deuil qu’elle a suscité.

L’éruption de 1902 a donc l’effet paradoxal de créer une rupture, démographique et sociale, qui menace la transmission de la mémoire, mais en même temps de fixer le souvenir. Encore faut-il, à un siècle de distance, ne pas céder à la tentation de l’oubli, qui fut certainement voulu par certains témoins directs, qui ont emporté en eux l’« indicible ».

Le bilan humain

L’évaluation des pertes humaines est, dès le mois de mai 1902, un des points de débat, tant pour l’administration, qui doit faire face à la crise, que pour les scientifiques et les historiens.

Alfred Lacroix, dans sa somme La montagne Pelée et ses éruptions, publiée en 1904, procède au calcul par deux approches qui ont le mérite d’être concordantes : en déduisant du chiffre de population annoncé par le recensement de 1902 (26 000 hab.) augmenté d’une estimation des réfugiés des communes avoisinantes, le nombre de personnes parties dans les jours précédant l’éruption, il arrive au chiffre de 28 000 victimes.

Après l’évacuation générale des communes du Nord au début de septembre et compte tenu du nombre, plus exactement chiffré, des réfugiés à Fort-de-France et ailleurs, ce chiffre semble corroboré.

Il convient toutefois de préciser que les chiffres du recensement en ce début de siècle sont certainement faux, et majorent peut-être de 20% la population martiniquaise.

Eugène Revert, à la suite des constatations des services du gouvernement de la Martinique, pointe ce fait en 1949.

D’autre part, nombre de personnes affolées par les grondements du volcan ont fui par la route, et ne peuvent être comptées précisément, si ce n’est par les déclarations faites pour obtenir des secours de la colonie.