MARTINIQUE 1902-2002
DOCUMENTS

lettre de Louis Léopold Numa HOUDELETK, rescapé.
Centre des Archives d'Outre-Mer : série C8C carton 27 dossier Houdeletk

Fort de France, Martinique, ce 10 janvier 1904

Monsieur le Président de la Commission exécutive d'assistance et de secours aux sinistrés de la catastrophe de la Martinique.
Paris

Monsieur le Président,

Il résulte d'une lettre reçue d'un de mes amis de France, qui veut bien s'intéresser à notre triste sort, que mon dossier relatif aux secours qui doivent être accordés en raison de nos pertes dans la catastrophe volcanique, n'est pas encore arrivé à Paris. Ici à fort de france, on m'assure du contraire.
Mon correspondant a pu être mal renseigné; mais d'un autre côté, mon dossier a pu bien aussi s'être égaré et je n'ai aucune pièce qui constate le dépôt fait ici de ma demande.

Quoiqu'il en puisse être, j'ai l'honneur de vous remettre sous ce pli, le duplicata de ma demande de secours déposée le 25 janvier 1903. Demande que l'on m'a fait refaire sous diverses formes.

Vous me permettrez de profiter de la circonstance pour vous soumettre quelques observations et vous exposer en même temps la façon dont j'ai été frappé.

On nous assure ici que les secours à titre permanent seront très modiques; en présence de ce fait, ces secours, nous pensons, ne peuvent être alloués qu'aux vieillards et aux infirmes peu fortunés et à ceux qui ne possédaient absolument rien, le nombre en est grand, il est juste qu'ils soient secourus.

Mais serait-il équitable d'étendre cette mesure à ceux des sinistrés qui possédaient des biens d'une certaine importance.
Pour nombre d'entre eux, tel que moi, le montant des secours permanents que l'on pourrait allouer ne ferait jamais l'équivalence du quantum auquel ils auraient droit au titre de secours définitifs dans l'hypothèse, comme on l'assure ici, que les secours définitifs seront calculés sur la base de 6 à 10 % de la valeur des pertes reconnues et admises par la commission locale.

Je me sens encore assez d'énergie, soyez le convaincu, malgré mon âge, pour me débrouiller si j'avais quelques fonds à ma disposition.

Je possédais, entre autres biens, deux grandes & magnifiques plantations sur la côte du Précheur, le Boisville et le fond Canouville; elles ont été anéanties, elles étaient situées à la porte de St Pierre, ville riche et opulente. elles sont indiquées sur la carte de la Martinique.

C'est sur l'une d'elle, le Boisville, que l'éruption volcanique m'a surpris. Je fus miraculeusement sauvé, ainsi que Madame Houdeletk ma femme, sans pouvoir encore m'expliquer le fait, quand tous mes enfants périssaient dans ce moment néfaste et qu'autour de nous gitaient de nombreux cadavres des cultivateurs de la propriété.

Nous sommes restés 4 longs jours et 3 mortelles nuits prisonniers sur la plantation, ne sachant où trouver un abris, toutes les constructions étant abattues, ayant à notre droite et à notre gauche deux profondes coulées de lave bouillante d'où s'échappaient de chaudes vapeurs. Devant nous une mer démontée et derrière nous, sur nos têtes, la Montagne enflammée dont les grondements formidables et terribles faisaient trembler le sol, elle projetait une continuelle pluie de cendre chaude qui vous étouffait, sans eau, sans nourriture, attendant la mort à toute minute, l'invoquant même comme une délivrance, bref.

Le dimanche 11 mai sur les 3 heures de l'après midi, arrivait le Suchet, navire de l'Etat.- il se tenait fort au large, craignant, avec raison, les nuages asphyxiants qui dévalaient par interval vers la mer.- Une embarcation fut envoyée à notre secours et malgré une mer démontée et à travers mille dangers, car à toute minute on pouvait être tué, on a pu nous sauver.

Je regrette de n'avoir pu conserver le nom du jeune officier qui a présidé à notre sauvetage, il a fait preuve d'une endurance, d'un sang froid et d'un courage au dessus de tout éloge, ses hommes l'ont aussi courageusement secondés.

A notre arrivée à fort de france, où je n'avais ni parents ni amis, en a-t-on dans le malheur ? Nous ne fûmes, en débarquant, qu'un sujet de curiosité de la part de la foule qui encombrait les quais.- personne n'est venu au devant de nous, ni à notre aide; cependant l'administration supérieure ne devait pas ignorer que ce navire amenait des victimes du volcan.- J'étais l'unique famille blanche qui se trouvait à bord.

Ne sachant où aller j'ai du me réfugier à l'hôtel Bédia et pour payer mes frais d'hôtel j'ai du vendre ma montre.- on ne s'est jamais inquiété de nous et j'éprouvais une humiliation trop grande pour solliciter.

J'ai demandé un passage pour France, on m'offrit un d'entrepont.- J'ai du refuser - et n'ayant point les ressources nécessaires pour m'en payer un plus convenable, j'ai du me décider à séjourner à fort de france, séjour de souffrance et de misère, et ce n'est que grâce aux grands sacrifices que mon gendre, Mr Anquetil, commissaire colonial, s'est imposé si nous sommes parvenus, ma femme et moi, à vivre jusqu'ici - Veuillez le croire nous sommes certainement du petit nombre de ceux qui ont le plus souffert.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, mes plus respectueux hommages.

signé Houdeletk.

Notes En marge de la première page :
M. Laisant
à comprendre dans les secours permanents
vieillard

Renseignements figurants dans le dossier :
Houdeletk Louis Léopold Numa
né le 23 juin 1830 à St Pierre, Martinique
ex propriétaire, planteur
domicilié momentanément à fort de france, rue Dupont de l'Eure, 37
ma position de fortune me suffisait largement
nous possédions une honnête aisance
état de santé : fortement ébranlé par notre immense chagrin
chiffre approximatif des revenus disparus :
28,000 F l'an provenant du produit de cinq maisons de ville, cours national, des valeurs mobilières disparues et du net produit de la plantation Boisville sise au Prêcheur.
Chiffre des pertes déclarées : 485,595 F
Chiffre des revenus actuels : Néant



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Révision 21/03/2002