MARTINIQUE 1902-2002


Généalogie et Histoire de la Caraïbe - Conseil général de la Martinique

Chronologie des éruptions de la montagne Pelée

Vers 295-300 après Jésus-Christ : éruption de la montagne Pelée (documentée par les fouilles archéologiques).

Vers 1300 après Jésus-Christ : violente éruption de la montagne Pelée (documentée par les fouilles archéologiques).

1851 : petite éruption de la montagne Pelée.

1902 :

février 1902 : dégagements sulfhydriques du sommet de la montagne sensibles au Prêcheur.
avril 1902 : début des chutes de cendres. Les animaux s’affolent.
22 avril : première rupture du câble télégraphique entre Fort-de-France et la Guadeloupe.
24 avril : colonne de vapeur chargée de cendres s’élève au-dessus du volcan, les pluies de cendres augmentent d’intensité.
26 avril : des excursionnistes constatent les modifications au sommet de la montagne : l’Etang sec s’est rempli et un petit cône de lave commence à s’édifier.
début mai : les rivières descendant de la Pelée se chargent de boue et entrent en crue.
5 mai : une brusque crue de la Rivière Blanche détruit l’usine Guérin et la distillerie Isnard. Premières victimes de l’éruption.
7 mai : éruption de la Soufrière de Saint-Vincent.
Nuit du 7 au 8 mai : une avalanche de boue dans le lit de la rivière du Prêcheur cause la mort de près de 400 personnes.
8 mai : à 8h02, une nuée ardente envahit Saint-Pierre et ses environs, tuant environ 26000 personnes.
20 mai : une nouvelle éruption achève de détruire les maisons restées debout après le 8 mai.
juin : arrivée de la mission scientifique menée par Alfred Lacroix.
30 août : nouvelle nuée ardente, dirigée cette fois vers le Morne-Rouge. 1200 victimes.
1902-1903 : activité volcanique importante, accompagnée de nuées ardentes (décembre 1902) et surtout de l’édification, sur le dôme, d’une aiguille qui finit par s’écrouler en décembre 1903.
1902 : un petit observatoire est installé au Morne-des-Cadets. Il sera édifié en véritable bâtiment en 1935.
8 août 1903 : un cyclone ravage la Martinique.
1908 : légère reprise d’activité du volcan.
1929 : de septembre à décembre, montée de l’activité du volcan. La population des communes du Nord est évacuée jusqu’en avril 1930.
6 décembre 1929 : une nuée ardente détruit la zone située entre Saint-Pierre et le Prêcheur.


Histoire de l’éruption de 1902

L’éruption

« Pour Paris, de Fort-de-France, dépôt le 8-5-02 à 9h55 du soir
Suchet à Marine Paris
Reviens de Saint-Pierre, ville complètement détruite par masse de feu vers 8h du matin. Suppose toute population anéantie. Ai ramené les quelques survivants, une trentaine. Tous navires sur rade incendiés et perdus. Eruption volcan continue. Je pars pour Guadeloupe chercher vivres »

C’est ainsi que la France, et le monde, apprennent dès le 9 mai « la catastrophe de la Martinique », qui marque réellement pour l’île la fin du XIXe siècle.

Le 8 mai 1902, vers 8 heures du matin, la montagne Pelée, qui depuis le mois de février avait repris une activité inquiétante depuis 50 ans de sommeil, émettait une « nuée ardente » chargée de cendres brûlantes qui, en dévalant les pentes du volcan produisait une énorme onde de choc. La nuée, enveloppant Saint-Pierre et ses environs sur la côte caraïbe, souffla littéralement les maisons, embrasa les nombreuses distilleries de la ville et asphyxia et brûla tous les êtres vivants des quartiers du Nord jusqu’aux confins du Carbet et du Morne-Rouge. Saint-Pierre, cité florissante et peuplée de 26 000 habitants (chiffre officiel) est anéantie avec son port, ses maisons de commerce, ses demeures et ses promenades.

L’année 1902 est encore marquée par d’autres éruptions d’une grande violence : celle du 20 mai finit de raser la ville de Saint-Pierre ; mais surtout, le 30 août, la nuée s’abat sur le Morne-Rouge et alourdit le bilan des pertes de 1200 victimes.

La rupture

Rarement pays a connu rupture aussi brutale. On comprend alors que la tentation millénariste ait pu s’exprimer alors, et ait imprégné les esprits, plus durablement qu’on pourrait le souhaiter.
Pourtant, en 1902, le changement était à l’œuvre, et la Catastrophe, tout en en perturbant le cours, l’a accéléré, avec certes bien des cahots, et au prix d’une très lourde perte humaine.
Quel a été l’impact de la destruction de Saint-Pierre sur l’histoire de la Martinique ?
Que pouvait créer de fécond une telle tragédie ? Telles sont les questions qu’il est bon de se poser, cent ans plus tard.

En 1902, la médiatisation des catastrophes naturelles prend un tour « moderne ».
L’expansion des moyens de communication (télégraphe par câble, organes de presse puissants), mais aussi les rapports de force internationaux qui font des Antilles une zone sensible, où les puissances coloniales et impérialistes de l’époque cherchent à renforcer leur position créent les conditions d’un retentissement mondial de l’événement.

La perte humaine est lourde : sur le plan démographique, son évaluation resta extrêmement vague pourtant, oscillant entre 25000 et 30000 victimes.
Sur le plan social, des figures de proue de l’élite politique et intellectuelle disparaissent, mais on constatera que la vie politique reprend avec autant de vigueur qu’avant 1902 : peut-on faire l’hypothèse qu’en laminant les classes bourgeoises masculines intermédiaires : commerçants mulâtres et békés, 1902 renforça le pouvoir des usiniers d’une part, et la contestation du parti « mulâtre » sur un fond de précarisation accrue des cultivateurs ?
1902 permet en effet l’émergence de deux personnalités majeures du premier tiers du siècle : Fernand Clerc et Victor Sévère.
Une hypothèse que l’exploitation historique de la base de données Victimes de 1902 devrait permettre d’affiner est que, dans les élites, c’est plus une génération que des lignées, qui est perdue, alors que les classes populaires sont frappées par familles entières.

Pour le développement de la Martinique, des questions telles que celle de l’équilibre économique entre le Nord et le Sud de l’île sont brutalement tranchées par l’éruption de 1902. Encore ne faut-il pas oublier le coup de semonce donné par la nouvelle éruption de 1929 : à cette occasion, les autorités, tout en tirant les leçons de 1902 et montrant une attitude déterminée en faveur de la prévention des risques majeurs, confirment le renoncement à rebâtir Saint-Pierre. Les seuls projets d’équipement de quelque envergure pour le Nord ne débutent que dans les années 1930.

Les conséquences économiques ne se font pas tant sentir sur le plan de la production cannière, rapidement revenue à la normale et stimulée, pour le rhum et le sucre, par la guerre mondiale à peine douze ans plus tard, ni sur le commerce colonial, déjà pris en main par des maisons-mères métropolitaines qui reconstituent leurs succursales à Fort-de-France, que sur celui, d’évaluation ô combien plus délicate, des circuits de l’économie informelle, disparus en même temps qu’une grande part des cultures secondaires.

Plus difficile encore à restituer est l’atmosphère de Saint-Pierre, ville où convergeaient les intérêts les plus divers, ville de l’opulence et de l’industrie, est sans doute, avec ses milliers de femmes et d’hommes ensevelis sous la cendre.
Pourtant, la disparition de Saint-Pierre, « cité créole » évoquée avec nostalgie, a permis de cristalliser un folklore, menacé par le changement progressif, et qui n’aurait sans doute pas été recueilli sans le sentiment d’urgence et de deuil qu’elle a suscité.

L’éruption de 1902 a donc l’effet paradoxal de créer une rupture, démographique et sociale, qui menace la transmission de la mémoire, mais en même temps de fixer le souvenir. Encore faut-il, à un siècle de distance, ne pas céder à la tentation de l’oubli, qui fut certainement voulu par certains témoins directs, qui ont emporté en eux l’« indicible ».

Le bilan humain

L’évaluation des pertes humaines est, dès le mois de mai 1902, un des points de débat, tant pour l’administration, qui doit faire face à la crise, que pour les scientifiques et les historiens.

Alfred Lacroix, dans sa somme La montagne Pelée et ses éruptions, publiée en 1904, procède au calcul par deux approches qui ont le mérite d’être concordantes : en déduisant du chiffre de population annoncé par le recensement de 1902 (26000 hab.) augmenté d’une estimation des réfugiés des communes avoisinantes, le nombre de personnes parties dans les jours précédant l’éruption, il arrive au chiffre de 28000 victimes.
Après l’évacuation générale des communes du Nord au début de septembre et compte tenu du nombre, plus exactement chiffré, des réfugiés à Fort-de-France et ailleurs, ce chiffre semble corroboré.
Il convient toutefois de préciser que les chiffres du recensement en ce début de siècle sont certainement faux, et majorent peut-être de 20% la population martiniquaise.
Eugène Revert, à la suite des constatations des services du gouvernement de la Martinique, pointe ce fait en 1949.
D’autre part, nombre de personnes affolées par les grondements du volcan ont fui par la route, et ne peuvent être comptées précisément, si ce n’est par les déclarations faites pour obtenir des secours de la colonie.


Autour des familles pierrotines, les sources disponibles
pour le généalogiste

Victimes de 1902 : un travail mené en partenariat entre Généalogie et Histoire de la Caraïbe et les Archives départementales de la Martinique.

Le travail entrepris pour recenser nominativement les victimes à travers les sources conservées est donc très novateur, cet examen n’ayant jamais été effectué. Il faudrait le compléter par une statistique du mouvement naturel de la population qui permettrait de connaître les tendances démographiques à Saint-Pierre et d’affiner le chiffre réel de la population à la veille de l’éruption.

Les sources

Ces sources, diverses, ont été dépouillées, tout ou partie, pour la base de données

Journal officiel de la Martinique

Tout d’abord, la liste de bénéficiaires de secours définitifs publiée au Journal officiel de la Martinique en 1904, puis en 1908, à la liquidation des fonds de secours.

Les dossiers de sinistrés (archives du comité officiel de secours et d’assistance, Archives nationales, CAOM, sous-série C8C)

Les dossiers de ce fonds sont présentés quant à leur structure et aux informations que fournissent les sinistrés

Un aperçu sur le fonctionnement et les réalisations du comité d’assistance et de secours est cependant utile.
Le comité officiel d’assistance et de secours se réunit à Paris, sous l’égide du ministre des Colonies dès le 12 mai, tandis qu’à l’annonce de la catastrophe, une cellule de crise, le Bureau spécial de la Martinique est créé au ministère.
Sur place, sous la présidence de Victor Sévère, maire de Fort-de-France, une commission locale se réunit le même jour, ayant pour attribution de proposer les mesures au soulagement des sinistrés et la répartition des secours, d’abord sous forme d’une distribution de vivres au jour le jour.

Le comité parisien se voit confier la répartition définitive d’aides, grâce aux sommes collectées dans le monde entier qui lui sont remises et à l’argent débloqué par le gouvernement. Il fonctionnera jusqu’en 1909, après quoi, un comité de patronage assurera seul le suivi social des allocataires, tandis que la direction du Contrôle des Colonies veille à la bonne gestion des fonds. Ce sont au total 9,358 MF qui sont collectés dans le monde en faveur des victimes de l’éruption de 1902.
En France, les souscriptions sont patronnées par les préfets, et dans les ports sont constitués des comités, où apparaissent les relations commerciales et familiales existant entre ces villes et Saint-Pierre : Bordeaux, Marseille, Saint-Nazaire, Le Havre, Rouen.

2157 dossiers reçoivent une suite favorable, pour un montant total de 1 607 115 F.
Les secours définitifs consistent en une aide ponctuelle, à défaut d’une véritable indemnité pour les pertes occasionnées, que jamais l’administration coloniale n’admettra.
Le montant des secours définitifs est finalement de 5,6 MF, en incluant les secours immédiats délivrés juste après l’éruption du 8 mai.

Des secours viagers, pour les veuves et les vieillards, temporaires (jusqu’à leur majorité) pour les orphelins, ainsi que des bourses, pour les élèves de l’ancien lycée Schoelcher et les étudiants, sont attribués.

L’état civil

L’état civil de Saint-Pierre, collections communale et du greffe, a disparu entièrement dans l’éruption. C’est donc la collection aujourd’hui conservée aux Archives d’outre-mer (celle du Dépôt des papiers publics) qui est la seule de référence aujourd’hui. Elle a servi à reconstituer un nouvel exemplaire, conservé aux Archives départementales, couvrant les années 1763-1899. Un microfilm en est disponible pour les années 1763-1870, et 1895-1899, consultable sur place ou par déplacement.

Pour les autres communes du Nord, la collection du greffe a été également perdue, puisqu’elle était conservée au tribunal de 1ère instance de Saint-Pierre. La collection communale et celle du DPPC sont donc d’autant plus précieuses. D’ailleurs, dès 1902, le gouverneur a enjoint aux maires des communes du Nord (Ajoupa-Bouillon, Grand-Rivière, Macouba, Basse-Pointe, Fonds-Saint-Denis, Carbet) de prendre soin d’évacuer les registres d’état civil (JOM du 5 septembre 1902)

Les déclarations de disparition et jugements supplétifs de décès

Dans le Journal officiel de la Martinique du 18 novembre 1902, le « Procureur général près la Cour d’appel de la Martinique prie les personnes qui ont perdu des parents dans la catastrophe du 8 mai de lui adresser la liste des membres de leur famille ainsi disparus, en lui indiquant l’identité aussi précise que possible de chacun d’eux et tous les renseignements pouvant permettre de faire constater officiellement leur décès ».

Ces déclarations ont alors donné lieu à des jugements rendus par le tribunal de Fort-de-France, et retranscrits à l’état civil des communes de résidence des survivants.
Le Carbet ayant de facto, puis en 1910, par loi, absorbé la commune de Saint-Pierre, c’est principalement dans l’état civil de cette commune qu’il convient de rechercher le plus d’actes. Il est très probable que les tribunaux de métropole dont dépendaient des réfugiés partis pour France aient enregistré de telles déclarations, mais la recherche exhaustive est impossible à accomplir. Dans le cadre d’une recherche familiale, il sera opportun de s’adresser au greffe ou aux Archives départementales dont relève la commune de résidence du réfugié.

Ces déclarations n’ont pas été systématiquement faites par les survivants, dans la mesure où elles n’avaient pas d’utilité pour eux : elles ne conditionnaient pas, par exemple, l’octroi de secours, comme pour les formulaires de déclaration du comité de secours. En revanche, elles se sont avérées nécessaires en matière de succession, si bien que ce n’est parfois que des années plus tard, afin de régler un partage ou un litige, que les jugements de décès sont rendus.


Dominique Taffin
Directrice des Archives départementales de la Martinique




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Révision 07/06/2002